Chroniques du jeu, des joueurs et des matches d’avant.

Pour une esthétique éternelle du football, de ses enjeux, de ses libéros et de ses 5-3-2.

vendredi 27 septembre 2019

LA VIE SANS PLATINI

France-Belgique (3-2), match qualificatif pour la coupe du monde 1982


Le 29 avril 1981, la France reçoit la Belgique dans un match couperet qualificatif pour la coupe du monde en Espagne. Les Belges, vice-champions d'Europe, sont invaincus et en position très favorable dans la poule 2. Côté bleu c'est l'hécatombe : Specht, Battiston, Larios, Lacombe et surtout Platini (pubalgie) sont absents. Comment Michel Hidalgo va-t-il gérer l'absence de son stratège et meilleur joueur ?


Un mois auparavant, à Rotterdam, il n'avait pas su résoudre l'équation et la France s'était inclinée. Ce résultat avait fragilisé sa position dans un groupe relevé qui compte aussi l'excellente équipe d'Irlande. Pour ne pas déroger à ses principes, le sélectionneur français aligne un traditionnel 4-3-3. Exit toutefois le jeune Alain Moizan qui n'a pas convaincu aux Pays-Bas. Il opte pour un trio de milieux polyvalents, tous les trois attirés par l'attaque : Tigana, Giresse et Genghini.

Jeu en mouvement et « petits formats »


C'est la première titularisation du jeune sochalien qui porte élégamment le n°10 laissé vacant par l'idole de Nancy et Saint-Etienne. Devant, il mise sur le retour en forme du rapide et agile Gérard Soler, qui avait disparu des radars depuis 3 ans pour remplacer numériquement Lacombe. En défense, ce sont Janvion (très dynamique sur son flanc droit) et Lopez (en difficulté face à Vandenbergh) qui complètent les inamovibles Bossis et Trésor. Dropsy, malgré sa bourde de Rotterdam (il marque du dos contre con camp), est confirmé.


Soler a beaucoup permuté avec Six, il marque d'ailleurs ses deux buts du côté gauche


Après un début de match hésitant face à des Belges sûrs de leurs forces et qui ouvrent rapidement la marque (Vandenbergh idéalement lancé par Vercauteren, 5e), la mayonnaise prend. La configuration « petite taille » des milieux et ailiers bleus donne le tournis aux visiteurs. Giresse, Tigana, Six (tantôt virevoltant, tantôt agaçant, comme à son habitude) et Soler redoublent les passes et combinent merveilleusement. Les deux ailiers multiplient appels et contre-appels. Tigana ratisse au milieu, profitant de l'apathie du vétéran Van Moer (36 ans) et se projette rapidement vers l'avant. Giresse, toujours bien placé joue dans le bon tempo.



Autour de ces quatre joueurs qui ne cessent de permuter et d'offrir des solutions vers l'avant, deux points d'ancrage. Genghini, placé devant la défense, sert de rampe de lancement pour distribuer le jeu à base de passes longues et précises. À tel point qu'on oublie vite l'absence du meneur de jeu stéphanois alors autant en délicatesse avec son physique fragile qu'avec une partie public français, déçu des ses prestations depuis plusieurs mois.


Devant, c'est Dominique Rocheteau qui occupe l'axe. Plutôt habitué à jouer sur l'aile chez les Bleus, il se voit offrir l'occasion de faire ses preuves en tant que centre-avant, poste qu'il occupe désormais en club depuis son arrivée au Paris-Saint-Germain cette saison. En verve, l'Ange Vert se dépense beaucoup : il décroche, joue les une-deux et fait valoir son grand sens du jeu collectif. Mobile, il multiplie les appels et fait beaucoup souffrir l'inamovible charnière belge Meeuws-Millecamps. Ce dernier, touché à la cuisse, doit céder rapidement la place au jeune Michel De Wolf qui, malgré son aggressivité, ne parviendra jamais à prendre la mesure de l'attaquant bleu.

Vers l'avènement du « carré magique »


Trois buts inspirés ponctuent une première mi-temps de haute-volée (3-1). Etouffé, le milieu de terrain belge (dans lequel domine René Vandereycken, plaque tournante du RSC Anderlecht) ne trouvera l'ouverture qu'une seule fois après la pause par son jeune et prometteur attaquant, Jan Cueulemans, révélation du dernier Euro en Italie (score final 3-2).


Après la rencontre se pose LA question : cette équipe a-t-elle vraiment besoin de Michel Platini ? L'absence de la star tricolore ne fait-elle pas plus de bien que de mal à cette escouade au style de jeu instinctif et enlevé ? Et si la présence du 10 stéphanois – à qui l'on pourrait reprocher de trop garder le ballon dans les pieds - bridait les élans créatifs des Tigana, Giresse et autres Rocheteau ? Le football de mouvement voulu par Michel Hidalgo – qui en ce sens s'inspire de la révolution « orange » des années 1970 – n'est-il pas plus efficace dans cette configuration qui permet d'allier pressing dynamique, jeu vers l'avant et permutations incessantes forgeant ainsi l'identité d'une équipe à l'avenir prometteur ?

Le retour en grâce du fils prodigue à l'automne offrira une réponse sans équivoque : non, la France ne peut pas se passer de son meilleur joueur. Mais les expérimentations de ce printemps 1981 vont laisser des traces : Hidalgo sent que l'on peut désormais jouer avec deux, voire trois milieux créatifs (Giresse, Genghini et donc Platini) en simultané. Cette génération formidable de meneurs de jeu amènera le romantico-pragmatique sélectionneur à ajouter une nuvelle pièce au puzzle en les faisant jouer ensemble au sein du fameux « carré magique » qui, de son avènement au cœur d'un torride été espagnol, jusqu'à l'hallali mexicaine de 1986 marquera de son empreinte toute une époque.

La feuille de match

dimanche 22 septembre 2019

FONDATIONS UNIES


Roumanie-France (1-3), octobre 1995


Qu'est-ce qu'un match « fondateur » ? Une partie qui frappe les esprits et dont le resultat, inattendu bien qu'espéré, marque le début d'un nouveau cycle. Mais aussi une rencontre durant laquelle une équipe se révèle à elle-même, façonne les contours d'une identité qui devra s'inscrire dans la durée.


Le match fondateur de l'équipe de France de la « win » late 90's-early 00's se joue à Bucarest, à l'automne 1995. Clouée au pilori pour son absence d'ambition dans le jeu qui se traduit par une série de matchs nuls et stériles (Slovaquie, Pologne...), la team d'Aimé Jacquet est au bord du gouffre. Deux ans après la piteuse élimination du Mondial américain (le fameux « France-Bulgarie-gate » de 1993), et deux ans (et demie) avant d'accueillir la prochaine coupe du monde, la France est virtuellement éliminée de l'Euro 96.

Elle n'a plus le choix : si elle veut se qualifier pour la première édition de cette compétition ouverte à 16 nations, il faut aller chercher un résultat dans les Carpates. Seulement voilà, la Roumanie sort d'un Mondial américain sensationnel seulement stoppé en quart de finale par les terribles Suédois, après avoir balayé les outsiders colombiens, les hôtes U.S. et renversé l'Argentine privée de Diego Maradona (mais nantie de Redondo, Batistuta et autres Sensini) en huitième de finale.

Autant dire qu'on a grave les chocottes dans l'amphi B flambant neuf de l'université du Hainaut en ce mercredi 11 octobre, début d'après-midi. Non pas à cause des désastreuses prévisions macro-économiques de notre lointain discoureur, un obscur prof qui n'a pas su captiver notre attention. Le match commence dans moins de deux heures (horaire d'Europe de l'Est, style 17h45) et on n'a pas envie d'imaginer les Bleus absents d'une quatrième compétition internationale en 10 ans...

Mon voisin de droite (tendance libérale à la Milton Friedman) admet qu'avec un Karembeu monstrueux des deux côtés du terrain avec la Samp', un Djorkaeff létal devant les cages, un Desailly stratosphérique au Milan, un Deschamps patron de le Juve de Lippi et des Girondins en folie (Duga-Zizou-Lizarazu en pleine épopée coupe de l'UEFA), on a vraiment de quoi renverser des montagnes. Cette Roumanie en est une, de montagne.

Il leur a bien fermé leurs bouches aux Roumains, Marcel.
Les deux heures de jeu qui suivront seront extatiques. Dans un stade mal éclairé, ce qui renforce la sensation de piège lugubre que revêt cette rencontre, l'image est sombre, lointaine - on est à trois semaines dHalloween aussi. On sent tout de même immédiatement que les Djorkaeff, Dugary et autres Karembeu sont dans le coup. Il y a de l'envie, de la niaque, des duels gagnés. Une défense solidifiée par le duo boucherie-charcuterie composé des inénarrables Leboeuf et Di Meco (ce dernier portant étonnamment le brassard de capitaine ce jour-là).

Contre toute attente, donc (au mieux on espérait un nul qui reportait à plus tard encore la décision de la qualif'), le France l'emporte. Et impose un nouveau style. Sans Ginola et Cantona, dont les arabesques régalent le championnat anglais, donc sans les deux joueurs français à la plus haute réputation internationale à l'époque, les Bleus montrent un visage relativement rare dans la tradition de l'équipe de France : besogneuse, accrocheuse, tranchante en contre-attaque, sereine et forte mentalement. Et bien sûr, une touche de technique savoureuse devant, avec un Zidane inspiré et surtout un Djorkaeff omniprésent à la construction comme à la conclusion. Le Youri est à ce moment-là le « franchise-player » des Bleus, et il le sera encore jusqu'au jour du couronnement de 1998.



samedi 19 août 2017

LE CALCIO DÉPLOIE SES AILES

REAL MADRID – MILAN AC 1989 (1-1)


Ce n'est pas une équipe arc-boutée en défense qui se présente en ce printemps européen disputer le math aller de la demi-finale de la Coupe des Clubs Champions à Bernabeu. Ce n'est pas non plus une formation outrageusement dominatrice et monopolisant la balle de la première à la dernière minute qui se présente face à la terrible Quinta Del Buitre. C'est autre chose qui va se dérouler ce soir d'avril 1989 dans la capitale espagnole. Aux yeux de l'Europe entière, le Milan AC va frapper un grand coup. Pas le plus spectaculaire, pas le plus héroïque, mais un immense coup tactique.

En l'absence de Costacurta, Rijkaard est descend d'un cran épauler
Baresi en défense centrale. Donadoni a coulissé
pour prendre la place, inhabituelle pour lui, de milieu central.

C'est en effet dans occupation du terrain que l'équipe du président Berlusconi bouscule les traditions. Les Rouge et Noir jouent haut, loin de leurs cages, avec des intentions offensives. Pour la première fois, une équipe italienne se déplace chez un grand d'Europe sans laisser volontairement la balle à l'adversaire pour mieux contre-attaquer. Au contraire, durant 90 minutes, le digne représentant du calcio joue toutes ailes déployées dans son 4-4-2 maison : les attaques sont tranchantes, vives, en première intention. La récupération est haute, elle fait suite à un pressing intense qui étouffe le milieu adverse composé de Schuster, Michel et Martin Vasquez (excusez du peu!). La « zone press » du coach italien fait merveille.

Le pressing imprimé par Arrigo Sacchi élève l'exercice au rang d'art. Les joueurs coulissent formidablement, compensent les déplacements les uns des autres, comme dans un ballet orchestré par le capitaine Franco Baresi. L'ensemble ne laisse aucun répit à l'adversaire, champion d'Espagne et récent double vainqueur de la coupe UEFA (85 et 86) fut-il. Au centre du terrain, Ancelotti est le métronome, la sentinelle, infatigable ratisseur aussi bien cinquième défenseur que premier attaquant. Devant, Gullit décroche souvent pour soutenir ses milieux, tandis que Van Basten assure dans le rôle qu'on lui connaît de buteur-remiseur tellement classe qu'on a l'impression qu'il joue en costume trois-pièces.

Leurs pauvres adversaires font peine à voir en comparaison. Averti du danger rouge et noir, l’entraîneur de la Maison Blanche, Léo Beenhakker, a mis au point une parade : le bloc joue bas, regroupé autour de deux stoppeurs et d'une libéro, le beau Gallego et son numéro 10 dans le dos. À lui de trouver, par de longs ballons, les flèches Hugo Sanchez et Butragueno en première intention, ou alors, indirectement en passant par les latéraux Gordillo et Chendo. Football fruste comparé à l'iconoclaste démonstration lombarde faite de redoublements à ras de terre, d'appels subtils, de longues transversales précises et d'un engagement de tous les instants.

Il Capitano Franco Baresi
Un engagement physique qui ne se confond pourtant pas avec la précipitation ou la brutalité. Jamais les coéquipiers du soyeux Donadoni ne varient dans leurs intentions : aller chercher le ballon haut, le plus près des cages adverses, puis combiner rapidement pour toucher les attaquants le plus rapidement possible – afin de ne pas leur laisser le loisir de se replier et de se réorganiser défensivement. Même après l'ouverture du score des locaux (joli ciseau du Mexicain Sanchez, juste avant la mi-temps), ils ne perdront pas les pédales. Pas même après l'égalisation – injustement – refusée à Gullit après l'heure de jeu – suite à une flamboyante percée du « libero grande », Franco Baresi.

L'égalisation, mille fois méritée, survient finalement sur un exploit technique de Van Basten qui reprend de la tête, à vingt mètres, un centre de Tassoti un peu court. À 1-1, les Merengue se disent alors sans doute qu'ils ne font pas une si mauvaise opération que ça au vu du déroulé du match. Mais l'Histoire est en marche, avec un grand, un immense « H ». Ce Milan éclabousse l'Europe et il n'y aura aucun public hostile, ni aucun arbitrage moyen pur se mettre en travers de leur chemin quinze jours plus tard à San Siro (5-0), au cours d'une rencontre qui marquera durablement l'histoire pourtant déjà riche des coupes d'Europe de clubs.

Le match en intégralité ici: